L’intérêt et son rôle au sein de l’économie et de la vie en général (partie 3 de 8) : La religion et les premiers penseurs
Description: L’intérêt et l’usure dans la Bible (judaïsme et christianisme) et selon les premiers penseurs.
- par Jamaal al-Din Zarabozo (© 2011 IslamReligion.com)
- Publié le 21 Feb 2011
- Dernière mise à jour le 21 Feb 2011
- imprimés: 216
- Lus: 27,787 (moyenne quotidienne: 6)
- Évalué par: 0
- Envoyés: 0
- Commentés: 0
Évidemment, l’islam n’est pas la seule religion qui ait banni l’intérêt et qui le considère comme méprisable. L’interdiction de l’intérêt – du moins jusqu’à un certain point – est une loi bien connue à la fois dans l’Ancien et le Nouveau Testament de la Bible. Plusieurs passages de l’Ancien Testament font référence à l’usure ou à l’intérêt. (Encore une fois, les termes « usure » et « intérêt » avaient la même signification, à l’époque, et ce n’est qu’avec le temps que le terme « usure » a fini par faire référence à un montant d’intérêt exorbitant ou illégal. Tel que nous le verrons plus loin, l’American Standard Version de la Bible utilise le terme « intérêt » là où la King James Version utilise le terme « usure ».)
Le Deutéronome 23:20-21 se lit comme suit :
« 20 Lorsque tu prêteras de l'argent, des vivres ou toute autre chose à un compatriote, vous n'exigerez pas d'intérêt de sa part.
21 Vous pouvez exiger des intérêts lorsque vous faites un prêt à un étranger, mais vous ne prêterez pas à intérêt à vos compatriotes. Alors l'Eternel votre Dieu vous bénira dans tout ce que vous entreprendrez dans le pays où vous allez entrer pour en prendre possession. »
De même, on peut lire ce qui suit dans Exode 22:24 :
« 24 Si tu prêtes de l'argent à un membre de mon peuple, à un pauvre qui est avec toi, tu n'agiras pas envers lui comme un usurier, tu n'en exigeras pas d'intérêts. »
Le Lévitique 25:37 se lit, quant à lui, comme suit :
« 37 Si tu lui prêtes de l'argent, tu n'en exigeras pas d'intérêt et si tu lui donnes de tes vivres, tu n'en tireras pas de profit. »
Dans Jérémie 15 :10, le prophète se plaint d’être maudit alors qu’il n’a jamais rien fait de mal comme prendre de l’intérêt, laissant ainsi entendre qu’une malédiction contre lui serait appropriée s’il était de ceux qui prennent de l’intérêt. Le verset sur l’intérêt qui est probablement le plus sévère, dans la Bible, est Ézéchiel 18:13 :
« 13 Ou encore, il prête à un taux usuraire et retient des intérêts. Ce fils-là vivrait-il? Non, vous dis-je, il ne vivra pas. Puisqu'il a commis toutes ces choses abominables, il mourra et il sera seul responsable de sa mort. »
En plus des versets susmentionnés, il en existe plusieurs autres interdisant l’intérêt.[1] L’Easton’s Bible Dictionary résume ainsi la loi de Moïse sur l’intérêt :
Selon la loi de Moïse, quand un Israélite avait besoin d’emprunter, il demandait à ce que le prêt lui soit fait gratuitement, c’est-à-dire sans que des intérêts lui soient chargés. Cependant, des intérêts pouvaient être perçus d’un étranger (Exode 22:25; Deutéronome 23:19,20; Lévitique 25:35-38). Au bout de sept ans, toute dette était oubliée, mais son remboursement pouvait être exigé s’il s’agissait d’un étranger. À une époque ultérieure de la communauté hébraïque, lorsque le commerce augmenta, la pratique d’exiger des intérêts sur les prêts augmenta de même, tout comme celle des cautionnements, au sens commercial. Mais le fait d’en exiger le remboursement à un Hébreu était considéré comme déshonorant (Psaumes 15:5; Proverbes 6:1,4; 11:15; 17:18; 20:16; 27:13; Jérémie 15:10).
Malheureusement, comme c’est souvent le cas pour les questions pratiques, le Nouveau Testament demeure relativement vague au sujet de l’intérêt. Selon l’Encyclopedia of Religion and Ethics, « il n’existe pas de préceptes clairs [sur l’intérêt] pour guider la conscience chrétienne. »[2]
Cependant, dans les enseignements attribués à Jésus, dans le Nouveau Testament, certains passages semblent prendre clairement position contre l’intérêt. Dans l’un de ces passages, on rapporte que Jésus aurait dit :
« Vous, au contraire, aimez vos ennemis, faites-leur du bien et prêtez sans espoir de retour. Alors votre récompense sera grande, vous serez les fils du Très-Haut, parce qu'il est lui-même bon pour les ingrats et les méchants. » (Luc 6:35)
En fait, ce que dit ce passage, aux chrétiens, c’est de prêter de l’argent sans espérer récupérer le montant prêté. Cela fait peut-être partie de ce que l’on appelle les « paroles dures » de Jésus et il est bien connu que les spécialistes de la Bible ne s’entendent pas sur l’interprétation et l’application de tels passages.[3]
Dans Matthieu 25:14-28, il y a une longue parabole dans laquelle un homme donne diverses sommes d’argent (appelées « lingots ») à différents serviteurs. Certains l’investissent et lui ramènent plus que ce qu’il leur avait donné. Mais la personne à qui il ne donne qu’un lingot est ainsi décrite dans le verset 18 :
« Quant à celui qui n'en avait reçu qu'un, il s'en alla creuser un trou dans la terre pour y cacher l'argent de son maître. »
Lorsque le maître de ces serviteurs les rappelle, plus tard, et leur demande ce qu’ils ont fait de l’argent, celui qui n’avait reçu qu’un lingot répond :
24 «Maître, je savais que tu es un homme dur: tu moissonnes là où tu n'as rien semé, tu récoltes où tu n'as pas répandu de semence. 25 Alors, j'ai pris peur et je suis allé cacher ton argent dans la terre. Voilà: prends ce qui t'appartient.» (Matthieu 25:24-25).
Alors son maître réplique durement :
26 «Vaurien! Fainéant! Tu savais que je moissonne là où je n'ai rien semé et que je récolte là où je n'ai pas répandu de semence?! 27 Eh bien, tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers et, à mon retour, j'aurais récupéré le capital et les intérêts. 28 Qu'on lui retire donc le lingot et qu'on le donne à celui qui en a déjà dix.» (Matthieu 25:26-28).
Commentant ce passage, la Geneva Study Bible écrit :
Les banquiers qui installent leurs tables ou leurs échoppes à l’étranger, où ils prêtent de l’argent à intérêt. L’usure ou le prêt à intérêt est strictement interdit par la Bible (Exode 22:25-27; Deutéronome 23:19-20). Même à un taux aussi bas que un pourcent, l’intérêt est interdit (Néhémie 5:11). Ce serviteur mentit à deux reprises. D’abord, il affirma que son maître était dur et austère. C’est un mensonge, car le Seigneur est miséricordieux et compatissant. Ensuite, il traita son maître de voleur car il récoltait là où il n’avait pas répandu de semence. Son maître lui demanda alors, avec sarcasme, pourquoi il n’avait pas ajouté l’insulte à l’injure en prêtant l’argent à intérêt, de sorte qu’il aurait pu aussi accuser son maître de tremper dans l’usure. Si le serviteur avait fait cela, son maître aurait été tenu responsable des actions de ce dernier et coupable d’usure.
Sur la base des Ancien et Nouveau testaments, les premiers conciles de l’Église interdirent l’intérêt. Et, avec le temps, il fut interdit à tous les chrétiens, et non seulement au clergé, de faire affaire avec des intérêts. Des pères chrétiens, tels Saint-Thomas d’Aquin[4], traitèrent de la question de l’intérêt en détail. Le Décret de Gratien comme, plus tard, le Troisième concile du Latran (1179), ordonna que « les usuriers ne soient pas admis à la communion et ne soient pas enterrés selon les rites chrétiens s’ils meurent en état de péché. »[5] Le Quatrième concile du Latran (1215) condamna l’usure, mais la permit pour les juifs. Les catholiques continuèrent de s’y opposer fermement jusqu’au 19e siècle. Martin Luther, leader protestant du 16e siècle, condamna lui aussi l’usure, mais on prétend qu’il la permit en prétextant la faiblesse humaine.[6] Parmi les leaders chrétiens, Jean Calvin fut plus que tout autre le précurseur d’une vision plus souple sur l’intérêt. Petit à petit, la législation civile se libéra du droit canon et l’intérêt devint de plus en plus institutionnalisé.
Il n’y a pas que les penseurs judéo-chrétiens qui condamnèrent l’intérêt. Même les philosophes grecs le voyaient d’un œil négatif. Aristote, de même que d’autres grands philosophes grecs, le condamnèrent fermement. L’économiste autrichien Eugen bon Böhm bon Bawerk (également connu sous le nom de Boehm-Bawerk) écrit, dans son important ouvrage intitulé Capital and Interest :
L’hostilité du monde antique s’exprima de maintes façons, dont un certain nombre de lois interdisant de prendre de l’intérêt et les paroles parfois fortuites de philosophes tels que Platon, Aristote, les deux Caton, Cicéron et Sénèque, entre autres. Les philosophes grecs ne percevaient l’argent que comme un moyen d’échange et s’opposaient à la productivité des prêts monétaires. Une pièce de monnaie ne peut en engendrer une autre, telle était la doctrine d’Aristote. Sa conclusion évidente était que l’intérêt était profondément injuste.[7]
Au départ, l’Empire romain avait lui aussi interdit de charger de l’intérêt. Avec la montée des classes commerciales, cet interdit s’assouplit quelque peu, bien qu’il y eut toujours de sévères restrictions sur les prêts à intérêt, de même que des lois pour protéger les débiteurs.
Shylock, le personnage créé par Shakespeare, dans le Marchand de Venise (pièce rédigée peu avant 1600), démontre à quel point les prêteurs à intérêt étaient méprisés. La question qui nous monte évidemment aux lèvres est comment l’intérêt est-il passé de chose méprisable et interdite à une pratique socialement acceptée et institutionnalisée?
Footnotes:
[1] L’Ancien Testament nous apprend également que même s’il était interdit aux juifs de prendre de l’intérêt, ils s’en rendaient régulièrement coupables. Voir Néhémie 5:6-7 et Ézéchiel 22:12.
[2]Citation d’Abdelmoneim El-Gousi, “Riba, Islamic Law and Interest” (Ph.D. Dissertation, Temple University, 1982), p. 113.
[3] Ces paroles représentent-elles un code perfectionniste, un idéal impossible à atteindre, une « éthique par intérim » ou autre? Les érudits chrétiens ne sont pas arrivés à se mettre d’accord sur les réponses à ces questions.
Cf., Lisa Sowle Cahill, Love Your Enemies: Discipleship, Pacifism, and Just War Theory (Minneapolis, MN: Fortress Press, 1994), p. 27.
[4] On peut trouver un compte-rendu de la pensée de Saint Thomas d’Aquin, sur l’intérêt, dans l’ouvrage de Rodney Wilson, Economics, Ethics and Religion: Jewish, Christian and Muslim Economic Thought (Washington Square, New York: New York University Press, 1997), pp. 82-85. En réalité, cependant, Saint Thomas d’Aquin fut lourdement influencé par les pensées romaine et grecque antérieures au christianisme.
[5] El-Gousi, p. 114.
[6] Cf., Anwar Iqbal Qureshi, Islam and the Theory of Interest (Lahore, Pakistan: Sh. Muhammad Ashraf Publications, 1974), p. 8.
[7] Boehm Bawerk, Capital and Interest (1959), Vol. I, pp. 10-11, Afzal-ur-Rahman, Economic Doctrines of Islam (Lahore, Pakistan: Islamic Publications Limited, 1976), vol. III, p. 11. Voir aussi Qureshi, p. 6; El-Gousi, p. 114.
Ajouter un commentaire