Dr. Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 4 de 5)

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Description: Au bout d’un cheminement spirituel qui aura duré 40 ans, un linguiste juif de Boston découvre l’islam en Afrique.  Partie 4.

  • par Dr. Moustafa Mould
  • Publié le 29 Sep 2014
  • Dernière mise à jour le 29 Sep 2014
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Puis, je tombai amoureux!  Elle était somalienne, intelligente, amusante et charmante, en plus d’être une jeune veuve, mère de deux adorables jeunes garçons.  Son anglais était très limité et je ne parlais pas un mot de somalien, mais nous arrivions à communiquer assez facilement en swahili.  Nous parlâmes de mariage, mais certains problèmes pratiques devaient d’abord être résolus. 

Je savais que je n’allais pas pouvoir demeurer plus longtemps à l’université de Nairobi, car ils souhaitaient africaniser les lieux le plus vite possible et, à leurs yeux, je n’étais qu’un étranger de race blanche parmi d’autres.  Comme je n’étais plus très jeune, j’avais sérieusement besoin de me trouver un nouvel emploi, de me bâtir une carrière, peut-être avec le Département d’État ou au sein d’une organisation à but non-lucratif.  Du point de vue de ma dulcinée, le seul obstacle à notre mariage était que je n’étais pas musulman.  J’avais erronément cru que n’importe quel musulman pouvait épouser une personne faisant partie des Gens du Livre.  Mais elle me détrompa : les hommes, oui, mais les femmes, non!

Elle me parla un peu d’islam et j’avais déjà appris certaines choses, sur cette religion, par le biais de mes collègues et d’autres personnes.  Je croyais déjà en un Dieu unique, qui était le Créateur de l’univers et de tout ce qu’il contient.  Je croyais également aux concepts islamiques du tawhid et du shirk et je comprenais pourquoi il ne fallait pas croire aux pseudosciences telles l’astrologie ou la chiromancie.  Il y avait longtemps que je ne voyais plus Jésus (paix sur lui) que comme un prophète et je croyais que Mohammed (paix sur lui) était un prophète et un messager de Dieu.  Enfin, le fait que Mohammed ne fut pas juif ne revêtait aucune importance, pour  moi.

Je ne mangeais plus de porc depuis un bout; je ne pariais jamais pour de l’argent et je ne buvais que très rarement un verre de vin, lorsque l’occasion se présentait, au resto par exemple.  Depuis l’époque où j’avais fait partie des Peace Corps, j’étais plus à l’aise avec les notions de modestie, d’éducation des enfants, etc, telles qu’on les trouvait chez les Africains et dans l’islam que je ne l’étais avec la « révolution sexuelle », le culte de la personne et le phénomène d’éclatement des familles qui ne faisait qu’augmenter depuis les années 70, aux États-Unis.  Il ne semblait donc pas y avoir beaucoup d’obstacles à une éventuelle conversion à l’islam.  J’étais si près de le faire, alors quel était le problème, qu’est-ce qui me retenait, en 1983?

En fait, il y avait deux choses.  D’abord, mon identité et mon héritage.  J’imagine qu’il n’est pas aussi traumatisant, pour un chrétien, de passer d’une religion à une autre.  Si un Allemand catholique, par exemple, décide de devenir luthérien, ou même juif ou musulman, il demeure quand même Allemand.  Il ne fait aucun doute que je me sentais d’abord Américain et ensuite juif.  Mais, aux États-Unis, pays d’immigrants, même les plus assimilés attachent quand même de l’importance aux origines ethniques ou à la nationalité de leur famille.  Même si je n’avais plus aucune envie de frayer avec des juifs ou de faire partie de leur communauté, j’étais réticent à perdre cette identité.

Le deuxième obstacle était ma famille.  Bien que non-orthodoxes, la plupart des membres de ma famille étaient très traditionnels, tous pro-Israël et certains étaient de fervents sionistes.  Plusieurs considéraient les Arabes comme des ennemis et je soupçonnais qu’ils considéraient aussi les musulmans, même non-Arabes, comme des ennemis.  Je craignais qu’ils ne me renient en me traitant de fou ou même de traître.  Et surtout, comme je les aimais de façon inconditionnelle, savoir que mon geste les blesserait me faisait de la peine.

Lorsque mon contrat avec l’université prit fin, je ne cherchai pas à le renouveler.  Je retournai aux États-Unis dans l’espoir d’y trouver un meilleur emploi, de préférence en Afrique de l’Est.  Mon retour fut très difficile.  Je n’avais pas de domicile, aucun revenu et pas même de complet à porter si l’on m’appelait pour un entretien.  J’investis dans un complet en laine, trois cravates et un manteau d’hiver – c’était mon premier hiver depuis vingt ans – j’achetai des livres sur comment rédiger un cv et un SF 171 (application pour le gouvernement fédéral).  Je demeurai chez un ami à Washington, pris contact avec toutes les agences gouvernementales, les firmes de consultation et les agences d’aide privées qui faisaient affaire avec l’Afrique, jusqu’à ce que je n’aie plus un sou.  Je dus retourner à Boston pour aller vivre chez ma sœur, qui m’offrait un toit et de la nourriture, mais le genre d’emploi que je cherchais était difficile à trouver dans une ville comme Boston.  De plus, je souffrais d’un choc culturel particulièrement sévère.  C’est ainsi que je me retrouvai fauché, en plein hiver et en plein choc culturel, en pleine crise de la quarantaine, amoureux et… sous antidépresseurs.

J’en ris, maintenant, mais la douleur et l’angoisse que je ressentais, à l’époque, étaient insoutenables.  Et, pour la première fois de ma vie adulte, je me mis à prier.  Je priai souvent et avec beaucoup de ferveur.  Je fis le serment que si je trouvais le moyen de retourner en Afrique et d’épouser ma bien-aimée, je déclarerais ma soumission à Allah et deviendrais musulman.

J’obtins un terrible emploi temporaire dans un entrepôt, qui m’aidait au moins à payer ma nourriture, mes tickets de bus et le nettoyage à sec.  Puis, je trouvai un autre emploi, quelque peu embarrassant, celui-là, en tant que réceptionniste au bureau d’orientation d’un collège.  Je compris tout de suite que les quatre psychologues yuppies du bureau m’avaient étiqueté comme un looser de 42 ans et j’étais plutôt d’accord avec eux.  Honteux, je ne leur dis à peu près rien sur moi-même, mais quand le téléphone n’était pas en train de sonner et que je n’avais pas, au bout du fil, des étudiant paniqués par les examens de mi-trimestre,  je lisais des offres d’emploi et tapais, à la machine, des lettres de candidature.  Je découvris qu’une agence gouvernementale embauchait des enseignants d’anglais langue seconde pour l’Égypte et j’appliquai immédiatement.  Une semaine plus tard, une autre agence, où j’avais posé ma candidature six mois plus tôt, m’invita à Washington pour un entretien.

Dès mon arrivée à Washington, j’appelai la responsable des emplois en enseignement de l’anglais pour lui demander un rendez-vous pour un entretien, mais elle me dit que les postes avaient déjà été comblés!  Malgré tout, je demandai quand même à les rencontrer, au cas où un autre poste s’ouvrirait éventuellement.  Elle accepta et, une fois sur place, elle me dit : « En passant, il y aura un nouveau poste de créé très bientôt, mais en Somalie. »

 « En Somalie?! »  Je me rendis compte que j’avais presque crié en disant cela.  « Mais c’est merveilleux! »

 « Vous trouvez? », me demanda-t-elle, incrédule.

 « Bien sûr, j’adorerais aller là-bas!  Je suis déjà familier avec la culture et la religion du pays. »  Et, tandis que je disais cela à voix haute, je pensais en moi-même qu’il n’y avait qu’une heure entre Mogadiscio et Nairobi et que je pourrais peut-être enfin faire connaissance avec ma future belle-famille.  Je lui donnai mes références, qui étaient toutes des personnes qu’elle connaissait personnellement.  Elle allait les appeler et, en ce qui la concernait, si je voulais vraiment cet emploi, je pouvais l’avoir.

Je terminai mes entretiens avec l’autre agence.  Ils me montrèrent même le box, situé dans un bureau sans fenêtre, où je travaillerais si j’obtenais l’emploi.  Je retournai à Boston d’assez bonne humeur.  Grâce à Dieu, j’allais peut-être même avoir le choix entre les deux postes.  Mais quel choix!  C’était soit un contrat renouvelable d’un an dans un lieu torride, poussiéreux – mais africain – près de l’Océan Indien, soit une carrière en service civil avec régime de retraite dans un bureau sans fenêtre dans le nord de la Virginie.

Deux semaines plus tard, la dame me rappela pour m’offrir le poste de directeur du programme d’anglais à Mogadiscio en me précisant que j’avais 48 heures pour y réfléchir.  Tout le monde me dit que cela allait de soi : il était préférable que je choisisse l’emploi avec régime de retraite à Washington, sinon j’allais me retrouver à la case départ dans un an ou deux.  Je leur fis comprendre que j’étais un africaniste, que cette expérience allait m’aider pour la suite de ma carrière et que j’allais pouvoir ériger un réseau de contacts.  J’acceptai l’offre et me rendis à la clinique pour recevoir les vaccins obligatoires.  Deux semaines plus tard, l’autre agence m’envoya une note pour m’annoncer, sans autre explication, que je n’avais pas été retenu pour l’emploi dans le bureau sans fenêtre.

Alhamdoulillah, j’aurais facilement pu me retrouver sans aucun emploi, mais Allah m’avait guidé vers la bonne décision.  J’avais maintenant un emploi et j’allais probablement me marier.  Je remis ma lettre de démission au collège où je travaillais et, lors de ma dernière journée de travail, je dactylographiai une lettre à l’attention de mes collègues psychologues les informant que je quittais, car j’avais accepté un poste de directeur de projet à l’ambassade des États-Unis en Somalie et je signai M. Mould, Ph.D.

Évidemment, lors de mon voyage vers Mogadiscio, je ne pus résister à l’envie de m’arrêter quelques jours à Nairobi, où je vécus des retrouvailles émouvantes avec ma bien-aimée.  Je souhaitais réellement faire des projets pour l’avenir, mais le problème était que j’avais été embauché en tant que célibataire, ce qui signifiait que je ne recevais aucune allocation pour le logement ou la famille.  En plus, je n’avais aucune idée de ce que serait la Somalie ni le poste que l’on m’avait offert ni combien de temps j’allais demeurer à cet endroit.  Je me disais que j’allais pouvoir rendre visite à ma bien-aimée de façon assez régulière et qu’il y avait toujours le téléphone pour communiquer.  Elle pouvait, aussi, venir rendre visite à sa famille, qu’elle n’avait pas revue depuis son enfance.

L’emploi était assez intéressant; j’étais chargé de quelques heures d’enseignement, mais surtout de tâches administratives et de management, en plus des relations avec les fonctionnaires de l’ambassade.  La plupart de mes étudiants étaient des fonctionnaires gouvernementaux séniors et quelques-uns d’entre eux devinrent de bons amis.  Mais, à l’extérieur de l’ambassade et des heures de travail, c’était une tout autre histoire.  La culture et l’atmosphère de la Somalie urbaine étaient beaucoup plus moyen-orientales qu’africaines.  Durant mes sept années passées en Ouganda et au Kenya, je connaissais la langue du pays et les gens étaient ouverts et amicaux envers moi.  Je n’eus jamais aucun problème à m’adapter ou à me déplacer, me sentant toujours comme chez moi.  Mais Mogadiscio fut un choc culturel.  Je ne connaissais pas la langue du pays, personne ne parlait le swahili et les Somaliens éduqués ne parlaient pas anglais, mais italien.  Tous les panneaux de signalisation et les panneaux publicitaires étaient en somali; alors la chose la plus difficile était de communiquer avec les gens.  Les lignes téléphoniques étaient surchargées; le bureau de poste était d’une chaleur étouffante.  Le seul service sur lequel on pouvait compter était le service de télégraphe.  La poste n’était pas du tout fiable, sauf pour la valise diplomatique.  À certains moments, il était pratiquement impossible d’entrer en contact avec Nairobi.

Entendons-nous bien : j’étais tout de même heureux, là-bas.  J’aimais l’atmosphère et les odeurs, les mets italiens et somaliens, la vue sur l’océan, qui était à distance de marche de l’endroit où j’habitais et de mon bureau, le fait de découvrir une nouvelle culture, etc.  J’habitais au centre-ville, dans un des anciens quartiers, derrière l’ambassade italienne, et j’étais réveillé chaque matin par le son mélodieux de l’adhan, qui s’échappait des haut-parleurs d’une mosquée du voisinage.  Nous travaillions sur un horaire musulman, i.e. du dimanche au jeudi, de sept heures à quinze heures.   Les vendredis, j’aimais aller prendre une marche dans les environs et passais souvent devant une petite mosquée située derrière l’ambassade américaine.  Et, tandis que je profitais des parfums de myrrhe et d’encens qui s’échappaient des grandes portes, je m’arrêtais et écoutais les sons de la prière du joumou’ah.

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