Margaret Marcus, ex-juive, États-Unis (partie 1 de 5)
Description: Margaret parle de son enfance à l’école du dimanche, du moment où elle a rejeté, par mépris, toutes les religions organisées et d’un cours qu’elle a pris, à l’université, sur le judaïsme et l’islam.
- par Margaret Marcus
- Publié le 27 Aug 2012
- Dernière mise à jour le 27 Aug 2012
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Q: De quelle façon votre intérêt pour l’islam s’est-il éveillé?
R : J’étais Margaret (Peggy) Marcus. Jeune enfant, je m’intéressais beaucoup à la musique et plus particulièrement aux opéras et symphonies classiques que l’on considère souvent comme réservés à une élite, en Amérique du Nord. Mon cours préféré, à l’école, était le cours de musique, pour lequel j’obtenais mes notes les plus élevées. Un jour, par hasard, j’entendis de la musique arabe à la radio; cette musique me plut tellement que je voulus absolument l’entendre à nouveau. Je ne laissai aucun répit à mes parents jusqu’à ce que mon père me conduise dans un quartier syrien de New-York, où j’achetai une pile d’enregistrements de musique arabe. Mes parents, ma famille élargie et nos voisins trouvaient la langue et la musique arabes très bizarres et si pénibles à entendre qu’à chaque fois que je faisais jouer un de mes enregistrements, ils exigeaient que je ferme la porte et les fenêtres de ma chambre pour ne pas être dérangés.
Après ma conversion à l’islam, en 1961, je restais assise, dans la mosquée de New-York, des heures durant, totalement fascinée par la récitation du Coran, que j’écoutais à partir de cassettes. La récitation était celle de l’Égyptien Abdoul Basit. Mais lors des prières du vendredi, l’imam ne faisait jouer aucun enregistrement. Un vendredi, il y eut un invité spécial. Un homme de race noire, petit, très maigre et pauvrement vêtu, qui s’était présenté à nous comme un étudiant venant du Zanzibar, vint réciter la sourate ar-Rahman. Jamais je n’avais entendu de récitation aussi poignante, pas même celle d’Abdoul Basit. Il possédait une véritable voir d’or et je me dis, en moi-même, que Bilal [un compagnon du Prophète, qui faisait l’appel à la prière cinq fois par jour] devait avoir été doté d’une voix similaire.
Je crois que c’est vers l’âge de dix ans que mon intérêt pour l’islam s’éveilla vraiment. Alors que je fréquentais, le dimanche, une école juive réformée, ma fascination pour les liens historiques entre les juifs et les arabes grandit de jour en jour. J’appris, à partir de mes manuels juifs, qu’Abraham était tout autant le père des Arabes que des Juifs. J’appris comment, des siècles plus tard, en Europe médiévale, les persécutions chrétiennes rendirent la vie intolérable aux Juifs et que ceux-ci furent accueillis à bras ouverts en Espagne musulmane. J’appris également que c’est la magnanimité de cette même civilisation musulmane arabe qui donna son essor à la culture juive, qui se déploya, à cette époque, comme jamais auparavant.
Totalement ignorante sur la véritable nature du sionisme, je croyais naïvement que les Juifs retournaient en Palestine pour renforcer leurs liens religieux et culturels avec leurs cousins sémitiques. Je croyais qu’ensemble, les Juifs et les Arabes arriveraient à collaborer pour atteindre un nouvel âge d’or de la culture au Moyen-Orient.
Malgré mon profond intérêt pour l’histoire juive, je n’aimais pas du tout l’école du dimanche. À cette époque, je m’identifiais surtout aux peuples juifs d’Europe, qui traversaient une terrible épreuve aux mains des nazis, et j’étais choquée de constater qu’aucun de mes compagnons de classe ni leurs parents ne prenaient leur religion vraiment au sérieux. Durant les services, à la synagogue, les enfants lisaient des bandes dessinées dissimulées dans leurs livres de prières et se moquaient, en riant, des rituels juifs. Ces mêmes enfants étaient si bruyants et turbulents que les enseignants n’arrivaient plus à les discipliner et avaient beaucoup de difficulté à donner leurs cours.
À la maison, l’atmosphère, relativement à l’observance religieuse, était à peine plus agréable. Ma sœur aînée détestait à tel point l’école du dimanche que ma mère devait littéralement la tirer hors du lit, le matin, moment qui était toujours suivi de larmes et de propos acérés. À la longue, mes parents, n’en pouvant plus, lui permirent de quitter l’école du dimanche. Lors des jours saints juifs, plutôt que d’aller à la synagogue et de jeûner au Yom Kippour, mes parents nous faisaient rater l’école, à ma sœur et à moi, et nous emmenaient pique-niquer en famille ou manger dans de grands restaurants. Quand ma sœur et moi confiâmes à nos parents à quel point nous nous sentions misérables à l’école du dimanche, ils décidèrent de joindre les rangs d’une organisation humaniste agnostique connue sous le nom de Mouvement de la culture éthique.
Le Mouvement de la culture éthique fut fondé vers la fin du 19e siècle par Felix Adler. Alors qu’il étudiait pour devenir rabbin, Felix Adler devint de plus en plus persuadé que le dévouement aux valeurs éthiques établies par les hommes, valeurs considérant toute théologie et toute croyance au surnaturel comme non pertinentes, constituait la seule religion pouvant convenir au monde moderne. Mes parents m’inscrivirent à l’école du dimanche de ce mouvement quand j’avais onze ans et je la fréquentai jusqu’à mes quinze ans. J’étais alors totalement en accord avec les idées prônées par ce mouvement et considérais toutes les religions organisées avec un profond mépris.
À dix-huit ans, je devins membre d’un mouvement de jeunes sionistes connu sous le nom de Mizrachi Hatzair. Mais lorsque je découvris la véritable nature du sionisme, qui parlait du conflit entre Juifs et Arabes comme d’un conflit irréconciliable, je quittai le mouvement, quelques mois plus tard, totalement dégoûtée. À l’âge de vingt ans, étudiante à l’Université de New York, l’un de mes cours optionnels s’intitulait « Le judaïsme en islam ». Mon professeur, le rabbin Abraham Isaac Katsh, chef du département des études hébraïques, faisait tout son possible pour convaincre ses étudiants – tous des Juifs, dont plusieurs aspiraient à devenir rabbins – que l’islam tirait son origine du judaïsme. Notre manuel, rédigé par lui, prenait chaque verset du Coran et le faisait soigneusement remonter jusqu’à sa prétendue source juive. Bien que son objectif à peine voilé fût de démontrer à ses étudiants la supériorité du judaïsme sur l’islam, il me persuada plutôt du contraire.
J’avais compris que le sionisme se résumait aux aspects racistes et tribaux du judaïsme. Le sionisme moderne nationaliste était encore plus discrédité, à mes yeux, lorsque j’appris que très peu de ses leaders étaient des juifs pratiquants et qu’il n’y a probablement nul autre endroit où le judaïsme traditionnel orthodoxe n’est considéré avec autant de mépris qu’en Israël. Lorsque j’appris, également, que presque tous les leaders juifs d’Amérique du Nord soutiennent le sionisme et sont totalement indifférents aux traitements infligés aux Palestiniens, continuer de me considérer comme une juive dans l’âme me devint impossible.
Un matin de novembre 1954, le professeur Katsh, dans un de ses cours, soutint avec une logique irréfutable que le monothéisme enseigné par Moïse (que la paix soit sur lui) et les commandements divins qui lui furent révélés sont la base indispensable des plus hautes valeurs éthiques. Si les principes de moralité n’étaient établis que par les hommes, comme l’enseignent la culture éthique et d’autres philosophies agnostiques et athéistes, alors ils pourraient être modifiés à souhait, selon les désirs, les circonstances ou la commodité. Il en résulterait un pur chaos, qui ne pourrait que mener à leur perte les individus et la collectivité. La croyance à l’au-delà, telle qu’enseignée par les rabbins, dans le Talmud, poursuivit le professeur Katsh, n’était pas que vœux pieux, mais une nécessité morale. Seuls ceux, dit-il, qui croient fermement que chacun d’entre nous sera appelé devant Dieu, au Jour du Jugement, pour rendre compte de sa vie sur terre et ensuite être rétribué en conséquence, seuls ceux-là peuvent posséder suffisamment de discipline personnelle pour sacrifier les plaisirs éphémères de ce monde et endurer les épreuves de la vie afin d’atteindre le bonheur éternel.
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