« La course aux richesses vous distrait… »
Description: L’auteur démontre avec adresse le vide qui caractérise l’existence des gens qui ne se soucient guère de Dieu et qui n’ont pas d’objectif noble, dans leur vie, et il fait un lien avec la façon dont le Coran les décrit.
- par Imad al-Din Khalil (islamtoday.net)
- Publié le 28 Aug 2017
- Dernière mise à jour le 28 Aug 2017
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« La course aux richesses vous distrait jusqu’à ce que vous entriez dans vos tombes. Mais bientôt, vous saurez! » (Coran 102:1-3)
Il y a vingt ans, j’ai signé un article intitulé « L’âge de la réduction », publié dans un ouvrage intitulé Islamic Views on Contemporary Issues (Points de vue islamiques sur des problèmes contemporains). Aujourd’hui, je ressens le besoin de parler de l’âge de l’accroissement.
Il n’y a pas de contradiction entre ces deux descriptions de notre époque. Elles constituent deux faces d’une même pièce, une pièce que nous pourrions appeler « misère ».
Nous vivons à l’âge de la réduction par rapport à l’être humain, mais à l’âge de l’accroissement par rapport aux choses matérielles.
La réduction que nous observons se trouve dans l’esprit de l’être humain, dans ses sentiments, sa sensibilité, son humanité. C’est la raison pour laquelle nous nous complaisons autant dans l’excès de biens matériels, que nous construisons des villes toujours plus gigantesques et que nous poussons autant que nous le pouvons le progrès technologique. Malgré tout, les gens ne sont pas heureux et leur bonheur diminue année après année.
Nous nous perdons un peu plus chaque jour. Nous devenons de plus en plus superficiels. Nous avons perdu la richesse qui vient avec la sensibilité profonde. Nous faisons sans cesse la course aux choses matérielles et notre expérience quotidienne devient inséparable de cette réalité. Et, en chemin, nous perdons notre foi, le sentiment de poursuivre un objectif noble et notre sensibilité morale.
Nous jouissons d’une abondance de services, de biens (superflus et essentiels) et de loisirs. Nous avons plus d’options de divertissements que jamais auparavant. Nous avons plus d’argent et plus de choses à acheter. La science et la technologie sont très avancées. Alors pourquoi les gens se sentent-ils de plus en plus misérables?
Nous sommes de plus en plus suffoqués par les biens matériels dans nos vies. Par conséquent, nous sommes de moins en moins sociaux, plus distants les uns des autres, que ces autres soient notre famille, nos amis, nos époux(ses) ou nos enfants. Nous érigeons des barrières invisibles entre les autres et nous et ceux qui tentent de dénoncer cette réalité sont ignorés et personne ne leur porte attention.
Il est difficile d’aller à contre-courant de cette vague qui nous emporte irrésistiblement et de laquelle il est quasi impossible de s’extirper.
Cela me rappelle une pièce du dramaturge Eugène Ionesco où le protagoniste est entouré d’objets qui s’accumulent jour après jour et qui finissent pas le couper complètement de la réalité, au point où il finit par être exclu du monde. Même ses cris ne peuvent être entendus par les autres. Dans nos vies, l’accumulation des biens matériels ne fait pas que nous éloigner des autres; elle affecte aussi notre capacité à parler franchement et à dénoncer.
Cela me rappelle également ce qu’écrit Leopold Weiss dans son ouvrage intitulé The Road to Mecca (La route menant à La Mecque), où il parle de sa vie d’homme occidental qui cherche constamment à accumuler des richesses. Il critique les gens qui l’entourent et qui se trouvent constamment en état de dépression et dans un état lamentable. Il écrit :
Un jour – c’était en septembre 1926 – Elsa et moi étions dans le métro de Berlin, dans un compartiment de première classe. Mon regard s’arrêta à tout hasard sur un homme bien habillé assis face à moi, sans doute un homme d’affaires prospère, qui avait déposé sur ses genoux une très belle mallette et qui portait une bague à diamant à un doigt. Je pensai que l’image que renvoyait cet homme correspondait parfaitement à la prospérité qui était répandue, en Europe centrale, à cette époque : une prospérité qui était venue après des années d’inflation, où la vie économique avait été mise sens dessus dessous et où la pauvreté manifeste était devenue la norme. La plupart des gens étaient désormais bien habillés et bien nourris, et l’homme assis face à moi n’y faisait pas exception. Mais quand je regardai son visage, je n’y trouvai aucun bonheur. Une inquiétude flottait dans son regard. Il n’avait pas l’air simplement inquiet, mais je dirais franchement malheureux, le regard dans le vide et les commissures de ses lèvres tournées vers le bas. Ne voulant pas paraître impoli, je détournai les yeux et vit, près de lui, une dame élégante. Elle avait, elle aussi, une expression de tristesse sur son visage, comme si elle pensait à une chose douloureuse. Cependant, sa bouche était figée dans un sourire crispé, qu’elle semblait s’efforcer de maintenir sur son visage. Puis, mon regard balaya les visages des autres personnes, dans le compartiment, visages appartenant tous, sans exception, à des gens bien habillés et bien nourris. Et, sur presque chacun de ces visages, je pouvais lire une souffrance dissimulée, si bien enfouie, tout au fond, que les personnes auxquelles appartenaient ces visages semblaient elles-mêmes l’ignorer.
Tout cela était étrange. Je n’avais jamais, auparavant, vu autant de visages malheureux autour de moi; ou peut-être n’y avais-je jamais porté attention? L’impression que ces visages laissèrent sur moi fut si intense que je le mentionnai à Elsa qui, à son tour, se mit à les observer avec les yeux attentifs de la peintre rompue à l’étude des sujets humains. Puis, elle me regarda et me dit : « Tu as raison. Ils semblent tous être en train d’endurer quelque tourment de l’enfer… Je me demande s’ils sont eux-mêmes conscients de ce qui se passe au fond d’eux. »
Je savais que ce n’était pas le cas; car s’ils en avaient été conscients, ils n’auraient pu continuer à gâcher ainsi leur vie, sans aucune foi en aucune vérité, sans aucun objectif autre que le désir d’élever leur « niveau de vie », sans espoir autre que d’augmenter la quantité de leurs biens ou l’influence de leur pouvoir…
Lorsque
nous revînmes à la maison, mon regard se posa sur mon secrétaire, sur lequel
était posée une copie du Coran que j’avais laissée ouverte. Je pris
machinalement le livre pour le ranger et, juste comme j’allais le fermer, mes
yeux se posèrent sur la page ouverte et je lus :
La course aux richesses vous distrait jusqu’à ce que vous entriez dans vos tombes.
Mais bientôt, vous saurez!
(Encore une fois), vous saurez bientôt !
Si seulement vous saviez de science certaine!
Vous verrez certainement le feu de l’Enfer. Vous le verrez, certes, avec l’œil de la certitude.
Alors, ce jour-là, vous serez interrogés sur vos jouissances (éphémères).
Je demeurai bouche bée et je crois bien que le livre se mit à trembler dans mes mains. Je le tendis à Elsa : « Lis ça. N’est-ce pas là une réponse à ce que nous avons vu dans le métro? »
C’était une réponse – une réponse si claire qu’elle écartait tout doute. Je sus, à cet instant, sans l’ombre d’un doute, qu’il s’agissait d’un livre inspiré par Dieu. Car bien qu’il avait été transmis aux hommes plus de treize siècles auparavant, il prédisait clairement une chose qui ne pouvait devenir vraie qu’à notre époque compliquée et mécanisée.
De tout temps, l’homme avait connu la cupidité. Mais jamais, auparavant, cette cupidité n’avait dépassé la simple envie de posséder des choses; jamais elle n’était devenue une obsession aveuglant la plupart des gens, un besoin irrésistible d’en avoir toujours plus et de « réussir », davantage aujourd’hui qu’hier et davantage demain qu’aujourd’hui. Un démon à cheval sur le cou des gens éperonnait leur cœur et le faisant avancer vers des objectifs miroitant au loin, mais qui se dissolvaient en un néant insignifiant dès qu’ils étaient atteints, tout en présentant des promesses de nouveaux objectifs à atteindre – objectifs encore plus géniaux et plus tentants, aussi longtemps qu’ils pointent à l’horizon, et susceptibles de se transformer en un vide géant dès qu’ils sont atteints. Et cette faim, cette faim insatiable pour de nouveaux objectifs, voilà ce qui ronge l’âme de l’homme. S’il savait de science certaine, il verrait l’enfer dans lequel il se trouve…
Je compris qu’il ne s’agissait pas de la simple sagesse d’un homme du passé ayant vécu en Arabie. Quel que fût son degré de sagesse, il ne pouvait, seul, prévoir les tourments propres au vingtième siècle. Du Coran parlait une voix plus imposante que la voix de Mohammed…
Leopold Weiss embrassa l’islam après avoir lu la sourate at-Takathour. Il met le doigt sur le problème qui survient lorsque les gens mettent l’accent sur l’apparence extérieure, tout en accordant peu de valeur au mérite du cœur; lorsqu’ils préfèrent le succès du monde d’ici-bas au succès de l’au-delà; lorsqu’ils se préoccupent plus de leurs intérêts personnels que de leur comportement éthique; et lorsque leur vie se résume à une course aux richesses plutôt qu’à un combat contre leurs propres désirs et à l’enrichissement de leur âme.
Quel bonheur avons-nous trouvé dans ce déluge d’excès matériels? Comment pouvons-nous reconquérir nos propres âmes? Nous en connaissons plus que jamais sur les aspects physiques de nos vies, tandis que les dimensions intérieures de nos personnes sont laissées à l’abandon.
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