La psychologie de la maîtrise de soi en islam (partie 1 de 2): Choix et défis
Description: Le libre-arbitre, la maîtrise de soi et la voie du succès.
- par Aisha Stacey (© 2017 IslamReligion.com)
- Publié le 05 Mar 2017
- Dernière mise à jour le 26 Mar 2017
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Je débute souvent mes articles en affirmant que l’islam est un mode de vie à part entière. Oui, c’est une religion, mais certainement pas une religion à temps partiel, dont on ne se souvient qu’une fois par semaine ou lors de fêtes annuelles. L’islam imprègne chaque action du croyant; il influence son comportement au jour le jour, de manière à la fois consciente et inconsciente. Pour ceux qui regardent l’islam de l’extérieur, cette religion peut leur paraître très stricte, car il s’agit d’un exercice constant de maîtrise de soi et une lutte quotidienne contre les tentations. Mais l’islam n’est pas aussi strict qu’ils le croient. Pour mieux comprendre cela, le concept de libre-arbitre en islam doit être expliqué.
On définit le libre-arbitre comme un choix libre et indépendant, comme la capacité apparente de faire des choix qui ne sont pas déterminés extérieurement. Le libre-arbitre est notre capacité de choisir notre façon de répondre aux stimuli extérieurs, de choisir d’agir vertueusement ou injustement. En d’autres termes, nous sommes responsables de nos propres actions.
Dieu a créé l’être humain avec un libre-arbitre. Nous avons la capacité de choisir entre croire ou ne pas croire, entre obéir à Dieu ou Lui désobéir. Nous avons donc la capacité de choisir entre la récompense ou le châtiment.
Chaque jour, nous faisons face à des choix et à divers défis et chaque croyant sait très bien que cette vie est remplie d’épreuves. Ces épreuves, conçues par Dieu, ne servent pas, comme certains semblent le suggérer, à nous faire trébucher; elles servent plutôt à nous donner plus d’occasions de faire les bons choix. Nous pouvons choisir d’utiliser notre voix pour louer Dieu ou pour blasphémer et mentir. Nous pouvons choisir de marcher jusqu’à une mosquée ou un centre islamique ou de nous rendre dans un lieu de tentations. Il n’y a rien pour arrêter les gens de faire les mauvais choix à l’exception d’une petite chose qui s’appelle la maîtrise de soi.
La maîtrise de soi est une qualité qui fait terriblement défaut au monde moderne. Plusieurs psychologues et chercheurs commencent à suggérer que cette qualité fait défaut parce qu’au cours des dernières décennies, nous avons mis l’emphase sur l’estime de soi au détriment de la maîtrise de soi. Nous nous sommes convaincus et avons convaincu nos enfants que l’estime de soi est la clef du succès. Selon Jean Twenge, psychologue, l’estime de soi n’est pas la clef du succès. Elle dit : « L’idée qui s’est répandue, au cours des deux dernières décennies, est qu’avoir une très haute estime de soi – s’aimer soi-même, croire en soi-même – est la clef du succès. Ce qui est intéressant avec cette idée, c’est qu’elle s’est répandue et s’est enracinée profondément, tout en étant fausse. »[1] Roy Baumeister, professeur à la Florida State University, croit que l’estime de soi ne mène pas forcément au succès. « La maîtrise de soi est plus puissante et plus cautionnée comme cause de succès personnel », dit-il.
La maîtrise de soi est une qualité qui fait partie de l’islam, ce qui n’est sûrement pas une coïncidence. Il est on ne peut plus évident que Dieu cherche à nous faire développer cette qualité. Nous faisons quotidiennement face à divers choix et tentations de toutes sortes. Dieu nous demande de baisser notre regard, de contrôler notre colère et de réfléchir avant de parler. Le mois de jeûne du Ramadan est un important exercice de maîtrise de soi; nous nous privons de boisson et de nourriture du lever au coucher du soleil. Nous avons faim et soif, mais nous exerçons notre maîtrise de soi pour obéir à Dieu et développer notre résistance. Suivre constamment nos propres désirs n’est pas une chose que l’islam nous encourage à faire.
« … ils ne font que suivre leurs passions. Et qui est plus égaré que celui qui s’en tient seulement à ses passions sans être guidé par Dieu? » (Coran 28:50)
L’islam nous encourage à suivre la voie du succès et définit le succès comme la félicité éternelle, dans l’au-delà, pour avoir obéi à Dieu. Si nous ne savons pas nous maîtriser, le succès éternel sera très difficile à atteindre. L’islam ne nous demande pas de mener une vie misérable en attendant d’accéder à l’au-delà; il nous demande, cependant, de renoncer à la satisfaction de certains désirs qui sont liés à des choses illicites, en faveur d’une plus grande récompense ultérieure.
« Quant à celui qui aura craint de comparaître devant son Seigneur et qui aura préservé son âme de ses (mauvaises) passions, il aura le Jardin pour refuge. » (Coran 79:40-41)
Il y a 50 ans, un psychologue de l’Université Stanford, aux États-Unis, a mené une série d’expériences sur la gratification différée chez les enfants. Cette expérience est connue sous le nom de Marshmallow Experiment (l’expérience guimauve) et va comme suit : on donna à un groupe d’enfants âgés de 4 à 6 ans chacun une guimauve. On dit à chaque enfant qu’il pouvait soit manger la guimauve tout de suite, aussitôt que l’expérimentateur aurait quitté la pièce, ou qu’il pouvait attendre que l’expérimentateur revienne, 15 minutes plus tard, et il recevrait alors une deuxième guimauve.
Lorsqu’on revit ces enfants, à l’adolescence, on découvrit que ceux qui avaient attendu le retour de l’expérimentateur (et qui avaient donc résisté à la tentation de manger tout de suite la guimauve) avaient de meilleurs résultats scolaires. Ils étaient décrits, par leurs parents, comme ayant une bonne capacité de planification et de supporter le stress, la capacité de se concentrer sans être distraits par leur environnement et, d’une manière générale, ils avaient une bonne maîtrise de soi dans des situations difficiles. Lorsqu’on revit à nouveau, dans leur quarantaine, ceux qui, enfants, n’avaient pu résister à manger la guimauve tout de suite, ils obtenaient de piètres résultats dans des tâches données où la maîtrise de soi était essentielle.
Cette expérience de la guimauve sur la gratification différée est toujours en cours. En 2014, on publiait encore des résultats de recherches sur le même thème. Selon le professeur Roy Baumeister, la maîtrise de soi signifie, entre autres, la capacité à remettre à plus tard la gratification. Mais elle signifie également la capacité à résister aux tentations à court terme dans le but d’atteindre des objectifs à plus long terme, de même que la capacité à utiliser un système cognitif calme et détaché plutôt qu’un système émotionnel « chaud ». Selon lui, la maîtrise de soi est synonyme d’autorégulation et l’autorégulation, c’est savoir modifier nos réponses à certaines tentations sur la base de certaines règles, valeurs ou idéaux.[2] Pour les musulmans, ces valeurs ou ces idéaux sont le mode de vie islamique.
Dans le prochain article, nous poursuivrons cette discussion en voyant les concepts de comportement tempéré et comportement impulsif et l’idée selon laquelle la maîtrise de soi, comme un muscle, finit par se fatiguer.
Note de bas de page:
[1] http://www.joannejacobs.com/2013/01/self-control-not-self-esteem-leads-to-success/#sthash.KC2Kmz5t.dpuf
[2] Roy F. Baumeister, Self-control – the moral muscle (La maîtrise de soi – le muscle moral). Février 2012 dans le British Psychological Society Journal Volume 25 - Partie 2. Pages: 112-115
La psychologie de la maîtrise de soi en islam (partie 2 de 2): L’approche cognitive tempérée
Description: Comment l’islam enseigne la maîtrise de soi qui peut nous mener au succès.
- par Aisha Stacey (© 2017 IslamReligion.com)
- Publié le 06 Mar 2017
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Le prophète Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui) a souvent parlé de la colère. Ses recommandations sur le sujet rejoignent les mêmes arguments sur le fait de résister à une tentation immédiate pour atteindre un objectif à plus long terme, tels que discutés dans la première partie. Dans plusieurs hadiths, le Prophète nous dit que nous devons apprendre à nous contrôler et de répondre aux irritants de la vie non pas avec colère, mais avec tempérance. La réponse impulsive aux irritants est souvent la plus facile, mais elle mène le plus souvent à des effets indésirables. Plusieurs études démontrent que les gens impulsifs ont besoin d’apprendre à contrôler leurs emportements. Voici quelques hadiths sur le sujet.
·« La personne forte n’est pas celle qui jouit d’une grande force physique; la personne forte est celle qui sait contrôler sa colère. »[1] Par le fait même, le Prophète nous dit également qu’il s’agit là d’une qualité désirable à laquelle le croyant doit aspirer.
·« Si l’un de vous se met en colère alors qu’il est debout, qu’il s’assoie jusqu’à ce que sa colère diminue. Et si elle ne diminue pas, qu’il s’étende. »[2] Quand une personne est submergée par la colère, il est difficile, pour elle, de garder la tête froide. Mais si elle s’assoit, cela lui permet de se calmer et d’avoir les idées plus claires. Et si cela ne suffit pas, elle peut s’étendre, ce qui a pour effet de lui faire reprendre son calme.
·« Quand l’un de vous se met en colère, qu’il fasse ses ablutions, car la colère provient du feu. »[3] Faire ses ablutions revient à jeter de l’eau sur le feu de la colère, ce qui ne peut qu’aider à reprendre son calme.
La maîtrise de soi équivaut à freiner ses impulsions et désirs. C’est la capacité de faire en sorte qu’une réponse en surpasse une autre. La psychologie du 21e siècle voit cela comme une qualité que l’on doit chercher à cultiver, surtout si l’on souhaite atteindre le succès. Dans plus d’une étude, la maîtrise de soi a été comparée au fonctionnement d’un muscle.[4] Se maîtriser sur une base régulière puise de l’énergie d’une ressource limitée et une fois qu’elle est réduite, il reste moins d’énergie pouvant être utilisée pour l’autorégulation. C’est comme un muscle qui a besoin de puissance et d’énergie pour exercer sa force et, après un temps, il devient fatigué. Mais, comme le muscle que nous exerçons de façon régulière, plus nous exerçons notre maîtrise de soi, plus cela devient facile.
Pour plusieurs, le fait de faire de nombreux choix et de prendre plusieurs décisions les fatigue. Les chercheurs ont remarqué que la maîtrise de soi commence à s’affaiblir vers la fin de la journée, surtout lors de journées exigeantes ou stressantes. La plupart du temps, c’est en fin de journée que les régimes ne sont pas tenus et que les comportements liés aux dépendances refont surface. Des études ont démontré que les gens sont plus enclins à tricher et à voler quand leur réserve de volonté est épuisée.[5]
L’islam a toujours considéré que les gens ont besoin davantage de rappels au fur et à mesure que la journée progresse. Si nous considérons la prière, nous constatons qu’elle remplit cette fonction tout au long de la journée. Nous commençons la journée avec le fajr, i.e. la prière du matin, qui est suivie de plusieurs heures durant lesquelles on peut faire beaucoup de travail productif. Tout choix moral ou relatif à l’autorégulation que nous avons à faire est abordé avec facilité. À la prière du midi, nous avons un moment pour relaxer et pour nous rappeler que notre vie est dédiée à Dieu. Mais nous avons encore une longue journée devant nous.
Les rappels de Dieu, cependant, continuent de jalonner notre journée; il y a encore trois prières obligatoires avant le coucher. La prière, nous ne devons pas l’oublier, est comme un petit coup d’accélérateur; après l’avoir accomplie, nous nous sentons revigorés, un peu plus près de Dieu et déterminés à rester éloignés de tout ce qui pourrait Lui déplaire. Nous avons l’antidote à la fatigue musculaire, à la fois physique et psychologique. Qui donc serait enclin à se lever, après avoir fait sa prière, pour aller tricher, mentir ou voler?
Le prophète Mohammed nous a dit que la première chose qui serait jugée, chez une personne, au Jour du Jugement, est la prière. Si elle a été faite correctement, la personne connaîtra le succès; mais si elle a été négligée, la personne connaîtra l’échec.[6] Si la connexion d’une personne avec Dieu est maintenue tout au long de la journée, cela lui donne la force nécessaire pour résister aux tentations, tout en lui donnant la foi lui permettant de faire de bons choix, en faisant preuve de maîtrise de soi.
Comme n’importe quel muscle, plus nous utilisons la maîtrise de soi, plus il devient facile d’y avoir recours, tout en développant ce qu’on appelle la mémoire du muscle. Il s’agit de la mémoire de tâches qui sont accomplies fréquemment et qui est stockée dans le cerveau. Avec la répétition d’un même acte, on devient très habile. Les recherches démontrent que les personnes qui ont du succès passent relativement peu de temps à débattre intérieurement face à certaines tentations ou décisions devant être prises. Les gens qui ont du succès sont ceux qui, par la permission de Dieu, ont réussi à développer une bonne maîtrise de soi. Personne ne suggère qu’il s’agit d’une chose facile, mais c’est certainement faisable et surtout, souhaitable.
Dans le Coran, Dieu explique que les êtres humains ont une faiblesse qui entrave leur cheminement vers le succès. Cette faiblesse est un manque de volonté ou une incapacité à maintenir leurs objectifs. En tant que croyants, nous devrions savoir quoi faire pour contrer cela, mais trop souvent, il nous manque cette maîtrise de soi pour nous maintenir sur la bonne voie. Notre mode de vie, l’islam, nous apporte de nombreuses occasions de développer notre force intérieure et d’utiliser notre maîtrise de soi. Cette nouvelle psychologie de la maîtrise de soi fait partie de l’islam depuis toujours et même, pourrait-on dire, depuis l’époque d’Adam.
« En vérité, Nous avions fait une recommandation à Adam; mais il l’oublia. Et Nous n’avons pas trouvé, chez lui, de résolution ferme. » (Coran 20:115)
« Et ceux qui désirent l’au-delà et fournissent les efforts qui y mènent tout en étant croyants… alors les efforts de ceux-là seront reconnus (par leur Seigneur). » (Coran 17:19)
Le prophète Mohammed nous a rappelé que même l’effort le plus léger peut paraître énorme aux yeux de Dieu :
« … les actions les plus aimées de Dieu sont celles qui sont accomplies sur une base régulière, même si elles sont peu nombreuses. »[7]
Note de bas de page:
[1] Sahih Al-Boukhari, Sahih Mouslim
[2] Abou Daoud.
[3] Ibid
[4] Muraven, Mark; Baumeister, Roy F. (2000). "Self-regulation and depletion of limited resources: Does self-control resemble a muscle?" (L’autorégulation et l’épuisement des ressources limitées: La maîtrise de soi ressemble-t-elle à un muscle?). Psychological Bulletin 126 (2): 247–59.
Hagger, Martin S.; Wood, Chantelle; Stiff, Chris; Chatzisarantis, Nikos L. D. (2010). "Ego depletion and the strength model of self-control: A meta-analysis" (L’épuisement de l’ego et le modèle fort de la maîtrise de soi: une méta-analyse). Psychological Bulletin 136 (4): 495–525.
[5] Mead, N.L., Baumeister, R.F., Gino, F. et al. (2009). Too tired to tell the truth: Self-control resource depletion and dishonesty (Trop fatigue pour dire la vérité: l’épuisement des ressources de maîtrise de soi et la malhonnêteté). Journal of Experimental Social Psychology, 45, 594–597.
[6] At-Tirmidhi
[7] Sahih Al-Boukhari, Sahih Mouslim
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